C’était avant la crise du Covid-19. Dans la plupart des entreprises industrielles internationales, l’adoption des pratiques et des technologies de transformation digitale se faisait à un rythme régulier, presque tardif comparé aux autres secteurs. Une feuille de route de trois ans, une dizaine de chantiers (de la stratégie digitale au développement logiciel, en passant par l’automatisation, l’IoT ou le data management) et des budgets dégagés à hauteur de 8,3 % du chiffre d’affaires (à comparer aux 9,8 % des autres secteurs). Et puis le Covid-19 est arrivé. Et l’urgence d’une adoption rapide s’est imposée.
En décembre 2019, nous avions souhaité évaluer les impacts différenciés de la transformation digitale dans les entreprises, selon que celles-ci étaient avancées ou non dans leurs démarches. Nous avions alors conduit une étude avec ESI ThoughtLab auprès de 2491 décideurs internationaux issus de secteurs différents (dont 216 industriels). Pour l’industrie, nous avions constaté que, si les entreprises industrielles « suiveuses » étaient largement en retard dans leur maturité digitale par rapport à tous les autres secteurs, les « précurseurs » étaient, elles, bien en avance et témoignaient de bénéfices notables. Ainsi, elles réalisaient une marge nette cumulée de 10,3 % de leur chiffre d’affaires grâce à leurs investissement digitaux (le troisième plus grand ROI de tous les secteurs identifiés).
Avec la pandémie de Covid-19, nous avons souhaité actualiser cette étude pour évaluer l’impact de la crise sur les priorités de transformation digitale et sur leur rythme d’implémentation. En quelques semaines de confinement, des avancées majeures avaient en effet été opérées en matière de télétravail et d’utilisation du cloud, rendant le rythme traditionnel d’une « feuille de route à trois ans » quasi-obsolète. Un paradoxe a émergé : d’une part, 40% des industriels déclaraient que la maîtrise des technologies émergentes serait un des cinq chantiers prioritaires de leur entreprise suite à la crise du Covid-19. Et d’autre part, 60% de ces mêmes industriels admettaient que la crise du Covid-19 réorientait leurs investissements vers la gestion de l’urgence et la continuité de leur activité.
Quelles conclusions en tirer ? D’abord que la course vers la maturité digitale s’est effectivement accélérée et que les entreprises industrielles, déjà en retard sur les autres secteurs, n’ont pas intérêt à laisser l’écart se creuser trop rapidement. Ensuite, que les efforts financiers consacrés à la transformation digitale seront encore plus difficiles à consentir dans une période où les budgets se contractent.
Faut-il pour autant abandonner ? Non, car le ROI observé chez les précurseurs, particulièrement en cette période de résilience, est un signal fort que « les efforts vont payer » : au-delà de leur marge nette, ceux-ci font valoir un véritable avantage comparatif en matière d’élargissement de leurs modèles d’affaires (+23 points de pourcentage par rapport à leurs concurrents), d’efficacité de leur gestion du risque (+21), d’augmentation de l’engagement client (+20), d’amélioration de leur productivité (+19) ou encore de prise de décision éclairée (+17). Autant de gains qui peuvent également équilibrer la facture de la transformation digitale et réduire les impacts du Covid-19. À la question « Quel impact le Covid-19 aura-t-il sur votre budget digital l’année prochaine ? », environ 46 % des sondés ont répondu attendre une augmentation légère (1 % à 6 %) ou modérée (4 % à 7 %), preuve que la pandémie ne devrait pas affecter trop longtemps les chantiers de transformation digitale.
Cette étude invite donc les entreprises industrielles à se confronter à un impératif : celui de cibler davantage leurs investissements pour répondre au double enjeu de pression budgétaire et d’accélération de la transformation digitale.
Et, en ce sens, les choix opérés par les « précurseurs » peuvent servir de boussole. À commencer par les chantiers sur lesquels ceux-ci estiment avoir dégagé le plus de valeur : les technologies cloud, la RPA, les plateformes ouvertes, les applications et technologies mobiles et la cybersécurité. Or, si la plupart de ces technologies sont citées par les autres entreprises comme des cibles d’investissement dans les 1 à 2 ans (la RPA et le cloud obtenant les plus hauts scores), les plateformes ouvertes et l’analyse de données semblent encore cruellement absents de cette liste de priorités et doivent inviter à une prise en compte.
De plus, pour la plupart des entreprises industrielles, la capacité à dépasser le stade du PoC est encore une gageure1. Elles font face à des architectures encore silotées, où coexistent des environnements hétérogènes (systèmes IT, équipements opérationnels et business units), et au défi de la montée en compétences des équipes – à la fois en matière d’utilisation et de maîtrise des technologies, mais aussi en matière d’analyse et de prise de décision.
Comment les entreprises industrielles peuvent-elles dès lors mettre en place des initiatives Industrie 4.0 scalables et fructueuses sur un horizon temporel restreint ? Voici quelques directions qui peuvent leur permettre d’atteindre plus rapidement ces objectifs :
Lire notre deuxième article sur le même thème : L’Industrie « sans contact », nouvel horizon de l’Industrie 4.0 ?
Notes :
1 Cf Etude Mc Kinsey « Digital Manufacturing – escaping pilot phase », 2018